Pellegrino Artusi: un nom qui vient tout de suite à l’esprit en traçant l’histoire de la gastronomie italienne
En réalité Pellegrino Artusi avait été destiné par sa famille à toute autre carrière.
Il était né à Forlimpopoli, une petite ville de la Romagne, le 4 août 1820 dans une famille de commerçants. Comme tous les jeunes aisés de la ville, pour ces études il avait fréquenté le séminaire dans la ville voisine de Bertinoro. Pour bien comprendre le contexte historique, il faut considérer qu’à l’époque la Romagne faisait partie des Etats Pontificaux, à la différence de la Toscane qui était un Gran duché indépendant. Terminées les études, il avait entrepris une carrière commerciale dans l’entreprise de son père. Mais c’est en 1851 que sa vie change complétement de direction à la suite du passage en ville du célèbre brigand connu comme le « Passatore » (du fait que le métier de son père était le passeur). Le groupe de brigands avait profité d’une importante représentation qui avait réuni tous les notables pour occuper le théâtre de la ville, voler argent et bijoux, menacer les spectateurs et violer certaines jeunes filles parmi lesquelles la sœur de Pellegrino Artusi. Le choc étant insurmontable pour la jeune fille au point de la faire glisser dans la folie, la famille décida face à ce drame d’abandonner le territoire et les Etats Pontificaux et de s’installer à Florence, en Toscane.
Du point de vue économique, l’installation dans la ville toscane se passa plutôt bien et rapidement Pellegrino Artusi rejoignit une condition aisée et développa une activité qui lui permit de se consacrer à ses passions, qui étaient la littérature et la cuisine.
En 1865, il changea de maison et de vie en se retirant à vie privée pour se dédier complétement à ses intérêts culturels. Après avoir publié deux œuvres littéraires à ses frais, il décida de publier l’œuvre qui le rendit célèbre : « La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene » (en français : « La science en cuisine et l’art de bien manger : hygiène, économie, bon goût »). Bien qu’au début il soit obligé de le publier à ses frais et qu’il eut beaucoup de difficultés pour le diffuser, le livre connut dans les années à suivre une fortune incroyable jusqu’à devenir un pilier de l’histoire de la cuisine italienne.
Cette fortune est liée surtout aux caractéristiques mêmes de l’œuvre. Pour le réaliser, il avait recueilli une quantité de recettes venant de différentes régions d’Italie qu’il avait décrit avec des commentaires personnels et une bonne dose d’ironie. Le livre est donc une sorte de mosaïque des différentes traditions régionales qui ne laisse rien de côté : de la friture aux sauces, des rôtis aux bouillis, des glaces aux confitures, tous les aspects de la cuisine traditionnelle sont pris en compte.
D’ailleurs, une partie de ce succès est liée également à la langue utilisée par l’auteur. A une époque où la langue italienne était en train de s’imposer sur les différents dialectes et de se diffuser, l’énorme succès de ce livre et sa grande diffusion même dans des milieux loin des cercles culturels lui a permis de devenir une importante contribution à la diffusion de l’italien standard.
790 recettes expliquées de façon didactique et enrichies par les réflexions et les anecdotes de l’auteur ont fait de ce livre un grand classique qui a eu 15 éditions en seulement vingt ans, quand l’auteur était encore vivant, et cent au total en vendant plus qu’un million de copies. Le style est agréable et amusant et il est bien représenté par la célèbre phrase : « [pour cuisiner] avec ce manuel pratique il suffit de savoir garder une louche dans la main ! ».
« L’Artusi », comme tout le monde désormais appelle familièrement le livre, est devenu dans le temps un incontournable de l’histoire de la littérature culinaire italienne au point d’avoir été surnommé : « l’Evangile de la cuisine italienne ».