La cave de Luigi Veronelli

Luigi Veronelli

A l’origine d’une nouvelle vision de la gastronomie et de l’œnologie italiennes

Dans sa longue carrière, Luigi Veronelli a eu la capacité de changer le regard que les Italiens et les étrangers portaient à la gastronomie et à l’œnologie italiennes. Son approche a été originale, engagée et passionnée. Ses œuvres ont laissé des traces indélébiles dans l’oenogastronomie moderne.

Vu l’importance de son travail, il nous semblait très important de dédier un hommage à Luigi Veronelli à l’occasion de la récurrence des vingt ans de sa mort.

Pour le faire, nous nous sommes adressés à Gian Arturo Rota, directeur et fondateur du « Veronelli », centre de documentation/musée dédié au grand gastronome milanais. Installé dans un magnifique ancien couvent près de Bergame, le centre a été créé en 2019.

itinerari des saveurs

Itinerari : Luigi Veronelli a joué un rôle crucial dans l’évolution de la gastronomie en Italie. Merci sa contribution, cette dernière est passée d’un simple moyen d’unification culturelle et de récupération de la tradition culinaire à une véritable culture. Et au même temps, il a réussi à mettre en valeur la qualité de la production viticole italienne. D’après vous, quel est l’héritage de son enseignement et de son élaboration culturelle dans la gastronomie contemporaine ?

Gian Arturo Rota : À mon avis, ses intuitions (tout d’abord le fait que l’Italie est un pays avec une vocation agricole hors pair ainsi que l’importance du genius loci) et, plus encore, ses admonitions (par exemple : la théorie des crus, les luttes pour la reconnaissance de la qualité et contre les lois injustes, etc.) ont généré une nouvelle prise de conscience du potentiel de l’œnogastronomie italienne chez les opérateurs, les communicateurs et les consommateurs. A travers non pas des connaissances universelles et dogmatiques, mais à partir d’une expérience intuitive – Veronelli a éduqué des générations à considérer le vin et la nourriture comme des valeurs culturelles, porteurs de connaissances, de pratiques et d’intelligences millénaires.

Lui qui a été l’un des plus grands représentants de la culture matérielle du siècle dernier, il a « libéralisé », le concept de plaisir, en le considérant comme un droit et non comme une faute pour l’homme moral. C’était un homme libre et il aimait les auteurs qui ont fait de la liberté de pensée leur bannière, en particulier les auteurs français du XVIIIème siècle.

Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles il a eu une incidence sur les coutumes et les comportements sociaux, et il l’a encore. Veronelli est une figure intemporelle.

Itinerari : De dédier un espace à la mémoire de Luigi Veronelli et de son œuvre, elle est certainement une action importante pour la mémoire historique de la gastronomie italienne. Comment et quand est-elle née ? Comment le nom et le lieu ont-ils été choisis ?

Gian Arturo Rota : C’est le cas. En 2019, j’ai reçu un appel téléphonique inattendu d’une personne que je connaissais, l’architecte Domenico Egizi, qui me donnait une nouvelle encore plus inattendue : il y avait une famille de Bergame, active dans le domaine de la rénovation de bâtiments de prestige et avec laquelle il collaborait, qui était intéressée par la valorisation du patrimoine culturel de Mr. Veronelli et prête à offrir des espaces d’exposition dans une structure qui leur appartenait.

Nous nous rencontrons, je visite les lieux et je suis étonné : un fascinant ex-couvent du XVème siècle disposant d’un cloître à couper le souffle ainsi que d’une petite église paléochrétienne riche en trésors artistiques. Elle est édifiée sur une vaste nécropole et « s’appuie » aux vestiges (mais quels vestiges !) d’un bâtiment remontant à l’époque de la Rome ancienne (Ier ou IIème siècle après JC). Adjacent au couvent et directement relié à celui-ci, il y a une grande aile du XIXe siècle, sur deux étages, plus le sous-sol. Et c’est justement ici que les propriétaires nous proposent de donner naissance au « Veronelli ». J’avais mis une croix sur le projet d’un lieu entièrement dédié à lui, à la suite de négociations qui s’étaient mal déroulées auparavant. Cependant, envoûtés par le contexte et impressionnés par le sérieux des entrepreneurs, j’ai vu une possibilité concrète de reprendre le projet et… je n’ai pas pu refuser. Le nom est emprunté au titre de l’encyclopédie publiée par Rizzoli en 1985 et suggère toute l’autorité de Mr. Veronelli, bâtie en 50 ans de travail incessant. Je voulais la lui rendre pleinement et je n’aurais pas pu trouver meilleur nom.

Itinerari : Qu’est-ce que le visiteur peut trouver en entrant dans « Il Veronelli » ? Comment cette visite peut-elle enrichir son expérience ?

Gian Arturo Rota : Les visiteurs trouvent un parcours d’exposition qui raconte la passionnante histoire humaine, intellectuelle et professionnelle de Veronelli. Elle est racontée à travers :

  • Les archives documentaires : ses écrits, ses notes, sa riche correspondance, des panneaux descriptifs, des photographies etc.) ;
  • La bibliothèque : plus de 6500 volumes sur le vin, les spiritueux, la gastronomie, la civilisation paysanne ;
  • La reproduction de son bureau : le bureau personnel où il écrivait, les objets du quotidien, ses publications, à la fois comme éditeur ou comme auteur ainsi que d’autres objets personnels ;
  •  La cave : mise en place comme elle l’était à l’origine dans sa maison. Elle se compose d’un nombre allant de 11 000 à 12 000bouteilles de vin italien dont certaines lui sont dédiées ainsi que d’autres bouteilles de grand format et d’une sélection de grappas.

De plus, il y a une salle de dégustation aménagée avec des textes et des images concernant l’analyse sensorielle affichés aux murs. Il y a également une cafétéria (préexistante) avec des objets curieux qui nous racontent l’éclectisme de Veronelli. En plus de la beauté merveilleuse du lieu, le visiteur entre dans une vision du monde, une vision « syncrétique » de la vie, c’est-à-dire le croisement continu de l’histoire, de l’art, de la nature, de la terre, de la tradition, de l’expérimentation, de la beauté, des relations, de la gastronomie et du vin. Tout cela se trouve résumé dans une de ses sentences : « J’ai aimé beaucoup la culture et j’ai toujours pensé qu’elle allait de pair avec la vie. »

Le bureau de Luigi Veronelli

Itinerari : L’image de Luigi Veronelli dans l’imaginaire collectif est restée fortement liée au vin, dont il a dit que « le vin, après l’homme, est le personnage le plus capable de raconter des histoires ». Son héritage a été recueilli et il y a un guide œnologique qui porte son nom existe toujours. Serait-il possible de dire qu’il a su insuffler aux Italiens de l’amour et de la fierté pour leurs vins ?

Gian Arturo Rota : Je pense que oui. Les savants (historiens et sociologues) affirment qu’il existe un monde du vin avant et un autre après Veronelli. Il était conscient qu’il avait bien travaillé et pour le bien du pays, dans le but de faire évoluer l’Italie « d’une importante mère pour les vins à une importantes mère pour des grands vins ». Et il a réussi. Les petites productions, les crus, la répartition géographique par commune, les cépages locaux, l‘étiquetage véridique, par exemple, elles sont toutes des théories à lui qui ont servi à imaginer une nouvelle façon de produire du vin, mais également à en être fiers.


Biographie de Luigi Veronelli

Luigi Veronelli est né à Milan le 2 février 1926. Il a grandi dans une famille aisée, avec le culte de la bonne table. En suivant la volonté de son père, il s’inscrit à la faculté du génie chimique pour rejoindre plus tard l’entreprise de famille. Après la mort de son père, il décide de changer de vie et choisi d’étudier la philosophie à l’Università Statale de Milan. Il investit une grande partie de son héritage dans des voyages éducatifs, en particulier en France, et dans la culture (livres anciens et gravures).
En 1956, il fonde la maison d’édition « Veronelli Editore » qui se caractérise pour son catalogue vaste et varié : philosophie, littérature, politique, sport et gastronomie. Il s’est au même temps fortement concentré sur trois magazines dont « Il gastronomo » qui lui a donné de la notoriété, aussi à cause de ses prises de position pointues comme, par exemple : « seules les personnes vulgaires considèrent la gastronomie comme une discipline vulgaire et croient qu’elle vise uniquement à satisfaire l’appétit » (il Gastronomo, no.1, hiver 1956/1957).
Sa rencontre avec Luigi Carnacina a été fondamentale car lui a permis d’augmenter ses connaissances techniques sur la cuisine tout en prenant conscience du potentiel de la restauration et de l’importance d’associer les plats avec les vins. Ensemble, ils ont écrit des œuvres très importantes pour une codification moderne de la cuisine italienne.
À partir du 1960, il commence à travailler pour la télévision. En particulier, l’émission « A table à 7h » a été un succès extraordinaire. En 1961, il publie « I Vini d’Italia », un livre qui valorise pour la première fois le patrimoine viticole italien. En 1962, il ferme la maison d’édition et se consacre au journalisme, écrivant pour de nombreux journaux. De 1975 à 1979, il dirige le magazine « Vini&Liquori », qui est resté dans la mémoire pour ses courageux reportages sur la fraude et la sophistication.
Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, il rédige ses renommées guides gastronomiques des restaurants et des vins.
En 1986, avec des importants producteurs, il fonde le « Seminario permanente Luigi Veronelli », une association pour la diffusion et la promotion de la culture du vin et de la table. Il en est resté président honoraire à vie.
En 1989, il crée à nouveau la maison d’édition « Veronelli Editore ».
Dans les dernières années de sa vie, il est devenu encore plus actif dans la défense de la production alimentaire. Il crée les De.Co. (dénominations municipales), des certifications d’origine délivrées par des maires sur décision de l’administration municipale.
Son style aulique, métaphorique et provocateur a caractérisé toute son œuvre. Il a inventé des néologismes, tels que « vin de méditation » ou « gisements gastronomiques ». Il est décédé le 29 novembre 2004, après une longue et riche carrière de la durée de cinquante ans.


Pour plus d’information sur Luigi Veronelli et sur « Il Veronelli », voici le site officiel :
https://www.ilveronelli.it