Un homme qui a transformé la viticulture italienne par la rigueur scientifique et le respect de l’environnement
Conegliano, en Vénétie, est mondialement célèbre comme le berceau historique du Prosecco. Pourtant, l’héritage scientifique de cette région dépasse largement ce mousseux emblématique, grâce à l’œuvre d’un homme qui a transformé la viticulture italienne par la rigueur scientifique : le Professeur Luigi Manzoni. Directeur d’école, chercheur prolifique et pionnier de la génétique viticole, Manzoni a créé au début du XXe siècle une famille de cépages—les célèbres Incroci Manzoni—qui sont aujourd’hui synonymes de finesse et d’innovation durable.
Le savant et le citoyen
Né en 1888, Luigi Manzoni obtient son diplôme d’agronomie à l’Université de Pise. Son destin fut cependant lié à la province de Treviso, où il rejoignit l’École d’œnologie de Conegliano. Il en devint le Preside (Directeur) en 1933, fonction qu’il exerça jusqu’en 1958.
Parallèlement à ses fonctions d’enseignement et de direction, Manzoni se distingua comme un chercheur et un expérimentateur de premier plan. Son travail est documenté par un grand nombre de publications. Ses recherches ne se limitaient pas à la génétique. Il fut l’un des pionniers de l’étude détaillée de la physiologie de la vigne. Il a réalisé notamment des travaux sur l’anatomie de la vigne, illustrés par des microphotographies jugées surprenantes pour l’époque. En collaboration avec le Professeur Agostino Puppo, il mena également des études fondamentales sur la consommation hydrique des plantes. Ces recherches détaillées sur l’écophysiologie de la vigne étaient essentielles pour comprendre la résilience des plantes et pour guider une gestion durable des ressources. Une approche remarquablement moderne pour les années 1930. Et d’ailleurs, c’est cette approche qui fait que ses recherches soient encore si importantes.
L’engagement de Manzoni dépassait le domaine académique. Il servit également sa communauté en tant que Maire de Conegliano de décembre 1946 à février 1949. Son rôle politique, coïncidant avec la période de reconstruction de l’Italie après la guerre, confirme sa volonté d’appliquer son expertise scientifique à la prospérité économique et à la résilience territoriale.
La rigueur scientifique des croisements
L’héritage le plus durable de Luigi Manzoni réside dans son travail de génétique viticole. À une époque où la viticulture italienne restait souvent traditionnelle, Manzoni rêvait de créer des cépages mieux adaptés, plus robustes, et capables de produire des vins d’excellence constante. Ses croisements dirigés avaient pour objectif d’allier les meilleures qualités de deux parents pour maximiser la santé et la qualité.
Il est fondamental de noter que les Incroci Manzoni sont des croisements entre deux variétés de Vitis vinifera. Il ne s’agit pas d’hybrides interspécifiques. Le processus de création était méticuleux. Il impliquait un croisement dirigé en trois étapes manuelles et exigeantes : l’émasculation des fleurs de la variété porte-graine, la collecte du pollen de la variété père, et la pollinisation au moment précis où le stigmate est réceptif.
Malgré des ressources limitées en personnel et en superficie disponible, Manzoni a mis en place un protocole d’une rigueur exceptionnelle. Cela se reflète dans son système de traçabilité unique utilisé entre 1930 et 1935. Chaque plantule prometteuse était identifiée par une série de trois chiffres. Par exemple, le numéro 6.0.13 indique précisément la position de la souche sélectionnée : le treizième plant du sixième rang du vignoble expérimental. Cette permanence du numéro dans le nom du cépage célèbre aujourd’hui la précision de cette sélection initiale.
Le joyau : l’incrocio Manzoni Bianco (6.0.13)
L’Incrocio Manzoni 6.0.13, connu sous le nom de Manzoni Bianco, est le plus grand succès et la star incontestée de cette famille de cépages.
Le parentage officiel le plus souvent cité est un croisement entre le Riesling du Rhin et le Pinot Blanc de la Vénétie. Ce mariage génétique, réalisé dans les années 1930, visait à injecter la puissance aromatique et l’acidité du Riesling dans une structure plus locale. Le Manzoni Bianco incarne parfaitement l’objectif qualitatif de Manzoni.
Bien que répandu dans d’autres régions d’Italie, le Manzoni Bianco est principalement cultivé en Vénétie. Il es présent notamment dans la région de Trévise et dans l’assemblage du Colli di Conegliano DOCG Bianco.
Les autres lignées : Incroci Manzoni rouges
Manzoni n’a pas limité ses travaux aux blancs. Il a également créé des croisements rouges en utilisant des cépages locaux majeurs dans ses stratégies génétiques pour améliorer la structure et l’adaptation au terroir.
En particulier, ils sont particulièrement intéressant :
- Manzoni Rosso 13.0.25
- Manzoni Rosa 1.50
- Manzoni Moscato 3.56
- Manzoni 2.3 et 2.14
Plus de détails concernant ces croisements sont disponible dans notre article dédié.
L’héritage perpétuel
L’œuvre de Luigi Manzoni a profondément marqué le paysage viticole italien, allant bien au-delà de la création de nouvelles variétés. Ses expériences ont élargi la gamme des cépages disponibles.
Aujourd’hui, près d’un siècle après leur création, les Incroci Manzoni sont passés de simples expérimentations agronomiques à de véritables symboles de la viticulture trévisane. Ce qui prouve que l’innovation scientifique alliée au respect de la nature peut donner des résultats excellents.
Les recherches qu’il a menées se sont déroulées dans les collines qui forment aujourd’hui le site du patrimoine mondial de l’UNESCO des Collines du Prosecco de Conegliano et Valdobbiadene, désigné en 2019. Manzoni a joué un rôle essentiel dans le développement qualitatif et l’aménagement du territoire qui ont valu cette reconnaissance mondiale.
Si vous êtes intéressés à mieux comprendre le travail de Luigi Manzoni, le Musée Manzoni a ouvert ses portes en 2016 par l’initiative de l’École d’œnologie de Conegliano, héritier du patrimoine de recherches, équipements et publications du professeur.
Mais son plus important héritage est celui d’un scientifique qui a su lier la haute ambition génétique à l’identité de son terroir.
